La Plume de Feu


 
Vivre dans une valise

par Philippe Laramée et Manuel Solidage

La saison des migrations est arrivée. Les avions volent plus que jamais au-dessus de nos têtes de citadins. Les déplacements humains à l’échelle de Gaïa sont étendus à un tel point que dans quelques années, il sera possible d’aller faire un petit séjour en apesanteur, avoir un chalet sur la lune, une résidence secondaire sur Mars...

Plus modestement, pour nous tous qui sommes plus terre à terre et qui désirons voyager sur notre plancher des vaches natal, sans dépenser des sommes astronomiques en restaurants et en hébergement, des solutions économiques existent.

La vie dans un véhicule de fer et d’acier est possible avec un minimum d’investissement et quelques bonnes idées. Ce dossier traitera des différents aspects de la vie de nomade et donnera quelques notions de base, que tout bon voyageur se doit de connaître, avant de partir à la conquête de l’horizon profond et du dépaysement lointain.

Les possessions matérielles
Lorsqu’on fait le choix d’être nomade, il faut prendre en considération que le peu qu’on a est énorme. Les éléments qui composent un véhicule (ou un sac à dos) doivent allier tous les besoins auxquels on pourrait être confronté tout au long de notre voyage. Que ce soient les objets d’hygiène élémentaire (brosse à dents, anti-tsourdebras odorifique, savon pour le corps, serviettes sanitaires), en passant par les éléments de papeterie (journal intime, photos, papier et crayons) et par le nécessaire de couture... Chacun des objets que l’on décide d’apporter doit être soigneusement médité... car plus on a de matériel, plus le voyage est pénible.

Dans un sac à dos, ce sont nos épaules et notre dos qui transportent tout l’attirail. Dans un véhicule, on finit toujours par apporter une panoplie d’objets inutiles (ou peu utiles). Une des solutions les plus simples est de se faire poster à des endroits-clés de notre itinéraire, des choses qui pourraient nous être utiles au moment où on y est. On peut aussi envoyer nos souvenirs et nos photos non développées à nos parents, ou à un tiers, pour s’alléger.

C’est aussi une question de s’axer sur la qualité et non la quantité des éléments apportés. Au lieu d’avoir un ouvre-boîte et un tire-bouchon, on peut survivre avec un bon couteau Suisse qui contient tous ces outils et même plus. Une solution pour avoir toujours de la lecture est de transporter un livre qu’on donne à quelqu’un ou à une bibliothèque une fois terminé. Pour éviter d’avoir à transporter toute notre collection de cassettes de musique, on peut créer des compilations de musique d’artistes variés.

Le peu qu’on possède est important. Avoir peu ou pas de matériel, c’est un peu comme avoir toute la planète comme maison. On oublie l’appartenance à un lieu fixe. Nos racines sont peu profondes. Le concept de liberté est en fait une grande responsabilité.
Il faut savoir puiser l’eau au bon moment, car il n’y en aura peut-être pas plus tard...

Le vol
Il faut faire attention au vol. Avoir des assurances de voyage peut-être intéressant dans certains cas, mais lorsque l’on perd son sac à dos, ou son véhicule (qui est analogiquement, le coquillage de l’escargot), une assurance compte pour très peu, comparé à nos multiples babioles ramassées tout au long de notre voyage. Le problème, c’est aussi d’être obligé de se chercher du fil à coudre, une gamelle, des ustensiles...

Ingéniosité et système D
Lorsqu’on possède peu de matériel, on devient vite un débrouillard hors pair capable de beaucoup, avec les ressources de son entourage. On apprend à utiliser tous les éléments inimaginables. Alors, chacun des objets qui se trouve dans notre champ de vision prend des dimensions inusitées. On apprend aussi à penser les problèmes différemment. L’école de la route apprend beaucoup à ses élèves.

L’énergie dans nos vies
Si le toit de votre véhicule le permet, installer des panneaux solaires peut s’avérer une façon efficace d’accéder à l’autonomie énergétique. Encore faut-il avoir l’espace nécessaire pour entreposer les batteries, le contrôleur et l’onduleur.

Ayant un véhicule qui n’a pas vraiment été pensé en fonction d’un design aérodynamique, je songe sérieusement à m’installer une éolienne devant le capot pour recharger les quatre batteries 12 volts dont j’aurai besoin pour faire rouler tous mes accessoires. Une manivelle permettrait au poteau de s’élever sur plusieurs mètres lors des arrêts à plus long terme.

J’ai aussi pensé à brancher les batteries sur l’alternateur de mon camion, ce qui rechargerait les batteries lors de mes déplacements.

Je crois que l’addition de plusieurs de ces alternatives d’énergie est la solution la plus réaliste. Si j’utilise du propane pour alimenter les appareils les plus énergivores (poêle, frigidaire et chaufferette), mon camion devrait être suffisamment autonome pour pouvoir y vivre confortablement tout au long des saisons.

Pour tous ceux ayant un camion ou une roulotte suffisamment grands pour accueillir un mini-poêle à bois, cette avenue est intéressante dans la mesure où vous ne songez pas habiter en ville et que vous avez assez d’espace pour transporter du bois de chauffage.

On peut aussi équiper son véhicule d’électricité standard, le tout relié à un écretteur (power bar), lui- même branché à un long câble de plusieurs dizaines de mètres. Cela permet de se brancher à tous les endroits où il y a une prise électrique extérieure (machine à liqueur, prise électrique pour brancher une auto l’hiver, prise électrique de maison). Je conseille dans ce dernier cas de peinturer le câble d’une couleur un peu moins voyante que le jaune, ou l’orange fluorescent original, avec une couleur adaptée à la saison du voyage.

L’alimentation sur la route
Une fois les besoins énergétiques comblés, le deuxième besoin élémentaire du voyageur consiste à s’alimenter convenablement.

Certes, les crudivores ont la vie facile, mais qu’en est-il de tous ceux qui ont besoin d’une source de chaleur pour faire cuire les aliments? Un des grands défis du voyageur est son auto-suffisance vis-à-vis du circuit touristique. Le but, est de développer des recettes faciles, nutritives et variées. Voici une idée de déjeuner de Manu Sol...

La recette du Gruau Joufflu
(familièrement appelé muesli)

  • On met la portion de gruau désirée dans sa gamelle;
  • On ajoute des noix et des fruits secs au goût;
  • On recouvre le tout d’eau et on met une assiette, ou un couvercle, pour la nuit.
  • Le lendemain matin, le gruau joufflu est prêt.
  • Possibilité d’ajouter (bien entendu) du miel.

Il faut aussi faire très attention au café que l’on nous sert dans les restaurants et plus spécialement dans les truck stops. Il jaunit non seulement les dents, mais nous stimule bizarrement le système nerveux, nous empêchant, bien souvent, de dormir et créant une multitude de pipis pendant la nuit.

Éthique du voyage
En tant que voyageur sensibilisé, la responsabilité de se ramasser est primordiale. Ne pas laisser de traces de son passage est une obligation pour tout voyageur moindrement consciencieux. La nourriture humaine est une garantie d’avoir de la visite indésirable pendant la nuit. C’est pourquoi il est conseillé de ne pas établir sa cuisine trop près de sa tente. On peut aussi hisser sa nourriture dans les arbres pour prévenir les prédateurs.

Depuis plusieurs années, il est possible de recycler la majeure partie de nos déchets domestiques. Rapporter son recyclage dans les grands centres urbains, qui eux, sont dotés d’un système de recyclage, est une solution intéressante pour celui qui possède l’espace pour les conserver.

Le vélo en voyage
Pour goûter à l’essence d’une région visitée, il est intéressant d’emporter avec soi son vélo. Le vélo permet un contact plus direct avec les habitants et permet aussi de ne pas regarder le pays au travers d’une vitre d’auto.

En voiture, le paysage progresse trop rapidement, un arbre devient une forêt, un lac devient une étendue d’eau. Tandis qu’en vélo, on peut goûter à l’essentiel de la région et s’arrêter où on veut. Il faut toujours garder en tête qu’il y a à peine cent ans, la vitesse la plus rapide était celle du chemin de fer et du cheval... (très loin du TGV et du cheval-vapeur)!

On a oublié depuis longtemps, en tant que peuple vivant sur une immensité de superficie, à quel point le Canada est un pays d’une extraordinaire grandeur (de dimension, bien sûr) et on ne peut s’en rendre compte tant et aussi longtemps qu’on ne l’a pas marché. Il faut être capable de s’arrêter, car on peut, si on le veut, traverser le Canada, de Montréal à Vancouver, en 48 heures (4800 kilomètres). Le mieux est d’être capable de se donner des objectifs et surtout, d’être capable de les respecter.

Le vélo est donc un élément primordial dans un voyage. C’est le véhicule le plus économique d’énergie (propulsion humaine) et le plus performant d’un point de vue écologique. Il est, de plus, facile à réparer.

Avoir des contacts
Lorsque l’on commence à arpenter du pays, on se fait rapidement de nombreux contacts et connaissances. Le voyageur est souvent le visiteur, celui qui va. Le vadrouilleur est souvent celui qui nourrit les personnes qui le reçoivent. Il faut apprendre les règles de l’hospitalité. La personne qui se déplace vit beaucoup dans le partage.

A l’époque, les quêteux jouaient un rôle prépondérant dans le foyer rural québécois. Dans chacune des maisons, il y avait un banc du quêteux et il était toujours possible d’avoir l’hospitalité partout où ils allaient. Le quêteux est symbolique du porteur de nouvelles. C’est lui qui véhiculait le folklore et les commérages, les nouvelles du dehors et les ragots.

Garder un carnet de contacts permet lors de nos passages d’avoir un lieu où dormir et pouvoir partager.

Trouver une place de stationnement en milieu urbain
Comment dormir dans un lieu public en milieu urbain? Ayant traversé le Canada en plein hiver, dans une auto convertie pour nous héberger, Julie et moi sommes passés maîtres dans l’art de se trouver une prise de courant électrique. Les églises sont des endroits intéressants pour dormir (à l’exception du samedi soir). Les Visitors’ Center et les Rest Area, sont des endroits faciles où l’on est sûr de ne pas se faire déranger. Les grands parcs de la région métropolitaine sont aussi des endroits intéressants, mais la possibilité de faire une rencontre désagréable avec la police est plus élevée. Il faut prévoir des rideaux opaques pour cacher la lumière.

L’infrastructure d’un véhicule
Un aspect important lors de l’aménagement d’une monture est son aspect multi-fonctionnel. Si on aménage un véhicule en vue d’une utilisation unique, on se retrouve tôt ou tard avec un besoin de changement que l’on ne saurait combler. Moins les éléments du véhicule sont fixes, et plus facile est l’adaptation à des situations imprévues.

Lors de l’acquisition d’un véhicule, et de sa transformation en maison sur roues, je conseille de faire un plan de travail réaliste et de s’informer des prix des différents matériaux, avant l’achat du dit véhicule, pour bien cerner le coût total de l’investissement.
Les grandes étapes sont les suivantes:

  • Élaboration du plan de travail global
  • Mécanique du véhicule et inspection complète
  • Construction de l’infrastructure intérieure (démolition-récupération, construction, isolation, finition)
  • Décoration intérieure (peinture, éléments de décors)
  • Décoration extérieure (peinture, lettrage, dessins)

J’ai eu l’occasion d’apprendre énormément et ce, dans une multitude de domaines lors de la réalisation de mon dernier projet. Temporel est un véhicule que j’ai rénové avec l’aide de Julie et il est notre premier projet commun d’auto-construction.

Nous avons passé plusieurs jours à St-Marcel chez Marie-Noël et Simon où on a appris la manipulation d’une multitude d’outils, notamment la scie ronde, le banc de scie, la scie sauteuse, le grindeur, la soudeuse et j’en passe... J’ai aussi appris d’importantes notions, entre autres, la précision et l’importance de prendre des bonnes mesures!

Depuis longtemps, je parle de mon désir de m’auto-construire et je suis content d’avoir réalisé ce petit projet avant d’investir mon énergie dans une construction de plus grande envergure. Je me suis aussi rendu compte que s’auto-construire avait tout d’une image poétique du rêveur que je suis, mais une fois confronté à la réalité... le métier finit tôt ou tard par rentrer!

Je vous invite tous à réaliser dès cet été, un petit projet de construction. Qu’importe si on parle d’une cabane à chien ou d’une cabane pour enfant, histoire de savoir si vous êtes fait pour la construction, ou si vous allez être obligé de troquer maints points de J.E.U. à la réalisation de votre maison une fois rendu sur votre écovillage.

Les voyages d’hiver
L’hiver est, selon moi, la plus belle saison pour voyager. Extérieur au circuit touristique, en contact direct avec les locaux, en dehors de l’effervescence quasi fiévreuse de certains touristes pressés, des gros tarifs et des forfaits tout inclus. C’est l’occasion de prendre son temps dans les musées. C’est la chance de parler avec des personnes qui n’auraient pas le temps en été. C’est une approche du voyage qui est beaucoup plus personnelle.

Laisser place à l’imprévu
Pendant la vie de nomade, maintes possibilités se présentent en cours de route. On doit faire des choix et certains de ces choix nous amènent sur des sentiers peu, ou pas fréquentés. C’est la bohème. On doit toujours garder en tête notre destination, mais aussi, être prêt pour une remise en question et un changement de direction imprévus.

Lors d’un choix important dans sa vie de voyageur, Manu conseille de visualiser les différents chemins possibles et de prendre le temps de s’observer de l’intérieur, de regarder dans quel contexte et dans quelle situation on se voit le mieux. Parfois, le choix est difficile, mais cette petite introspection permet de mieux cerner nos priorités. Arrivé devant deux chemins, l’on regarde quel côté est le plus lumineux, le plus attrayant et le plus fluide.

Un point d’ancrage
Posséder un point d’ancrage où il est possible de laisser ses affaires pendant la durée du voyage nous évite de payer un loyer inutilement. Louer un mini-entrepôt peut être une solution intéressante, mais il faut compter les frais de deux déménagements. Encore faut-il évaluer si ça en vaut la peine...

La cas temporel
Ce gros mastodonte amoureusement appelé par son ancien propriétaire Le gros boeuf, est un GMC Grueman 1974. C’est un camion de laitier ou de terroriste, selon le registre de l’observateur.

Ce rare véhicule possède de nombreux avantages, notamment sa carcasse en aluminium et son poids de 2400 livres, qui lui permet de s’exempter de l’inspection annuelle des camions de sa catégorie, ainsi que du livre de bord essentiel à tous conducteurs de classe 5.

Son moteur V6 fait en sorte qu’il boit moins de pétrole qu’un V8 (quoique sa consommation ne soit pas ce qu’il y a de plus économique). Les créateurs de ce type de véhicule ne se sont pas souciés de son aspect aérodynamique et lors de journées de grands vents, il est difficile de maintenir le cap.

Ce véhicule, que je suis en train de rénover, sera bientôt opérationnel pour de multiples usages: roulotte, transport de matériaux de construction recyclés, transport de marchandises, usage lors de visites sur le terrain.

Il sera équipé d’un panneau solaire 150 watts sur le toit, ainsi que de quatre batteries décharge profonde connectées sur l’alternateur.

Il y a aussi la possibilité de l’éolienne sur le devant du véhicule, mais je dois m’informer auprès des lois en vigueur à la S.A.A.Q. avant d’entreprendre ce projet. L’intérieur permettra de transformer rapidement l’espace viable en espace utilitaire, grâce à des armoires rétractables et un tapis qui se roule.

Ouverture sur les écovillages
Il devrait toujours y avoir un lieu pour accueillir les voyageurs dans un écovillage. Ma maison mobile est significativement mon premier pas vers la vie en campagne et par conséquent, mon autonomie. Temporel est ma première maison auto-construite. Je serai toujours chez moi, qu’importe où j’irai !

Texte de Philippe Laramée
Idée de Philippe et Manu Sol