La Plume de Feu


 

Dolce vita à New York:
présentation de Ganas
par Prudence-Elise Breton

Imaginez-vous dans la ville de New-York, vous reposant près de la piscine à l’ombre d’un prunier, alors que vos enfants s’amusent un peu plus loin dans la cour. Vous attendez impatiemment le délicieux repas santé que prépare votre cuisinier avec de bons légumes biologiques d’un fermier local et quelques fines herbes de votre potager. Vous songez à ce que vous ferez ce soir parmi toutes les possibilités qui s’offrent à vous: vous serez libre, vous n’avez pas de vaisselle à faire et ce, pour le reste de la semaine. Vie de millionnaire, penserez-vous? Non! Vie communautaire.

Les habitants de la communauté de Ganas bénéficient d’une qualité de vie loin d’être accessible à tous, à New York comme ailleurs, grâce à la mise en commun, à la coopération et au maintien de bonnes relations interpersonnelles. En effet, dans cette ville de plus de huit millions d’habitants foisonnante d’activités et de découvertes, mais où le prix des loyers est exorbitant, le fossé entre riches et pauvres marqué et le taux de criminalité très élevé, on trouve à Ganas le meilleur des deux mondes, qui combine le bien-être de la vie communautaire et l’opportunité de vivre à bon compte au sein de la plus grande ville étatsunienne.

Cette belle histoire débute en 1978. Six individus en provenance de San Francisco achètent une habitation sur Staten Island, laquelle est située à vingt minutes de Manhattan en traversier, et y fondent la communauté de Ganas. Ensuite, au fil des années, des maisons contiguës ainsi que des locaux commerciaux situés à proximité sont acquis par la fondation.

Aujourd’hui, Ganas est devenue une impressionnante communauté comptant environ 100 habitants, dix maisons et quatre entreprises. Ces dernières ont toutes en commun de récupérer, recycler et revendre diverses marchandises et sont connues sous la bannière Every Thing Goes, comprenant une friperie, un magasin de meubles usagés, un magasin de meubles antiques et, le dernier né, un café-boutique de livres usagés.

Cette fondation fournit des emplois à temps plein ou partiel à environ une quarantaine de personnes (majoritairement des résidants), soit au sein de la communauté, soit dans l’une de ses quatre entreprises. Par exemple, la superbe friperie de trois étages (la plus propre et la mieux pourvue qu’il m’ait été donné de visiter à New York) embauche cinq personnes à temps plein; de plus, un cuisinier est engagé pour préparer les repas communautaires cinq jours par semaine; une autre personne s’occupe à temps plein de l’administration, etc. Quelques heures de bénévolat sont également effectuées en rotation par les résidants pour les travaux domestiques ou encore pour des corvées ponctuelles (ex.: tri des costumes d’Halloween à la friperie).


Ce qu’on y partage

L’option de la mise en commun permet à plusieurs personnes d’âge, de provenance, de profession, de classe sociale et d’intérêts divers de vivre à New York en étant nourries et hébergées avec le plein service d’entretien dans un endroit propre et confortable, à un prix moindre que bien des taudis. Vivre à Ganas implique que chaque individu se voie assigner son unité (chambre) avec une salle de bain partagée et, dans quelques cas, une cuisinette en commun avec deux ou trois autres personnes. Les autres pièces sont désignées comme étant des espaces communautaires, tels le salon et la salle d’ordinateurs.

Le terrain et les aménagements extérieurs, comme la piscine, le terrain de jeu, la terrasse et le jardin, sont également accessibles à tous les résidants. La communauté possède également son propre journal interne, le Julides, dans lequel il est possible de publier des annonces ou simplement un poème, une histoire.

Durant les jours de travail, soit du samedi au mardi, on y partage dès 18 h 30 un repas de type buffet, comprenant plusieurs choix de plats pouvant satisfaire tous les régimes, du carnivore au crudivore en passant par le végétalien. La prospérité émanant de cette vie communautaire permet aux résidants de jouir des services d’un cuisinier professionnel, responsable également de gérer les réserves de nourriture et de planifier les menus. Les restes sont expédiés vers la cuisine 24 heures , où on trouve un réfrigérateur et un garde-manger bien garnis. On peut y déjeuner et dîner à n’importe quelle heure; il s’agit de la cuisine spécialement réservée pour les visiteurs.

Les membres qui désirent donner des cours où des ateliers se verront offrir un local et pourront éventuellement compter sur une banque de bénévoles. Nous verrons maintenant que, au-delà du partage matériel, les échanges les plus enrichissants se font dans le domaine de l’intangible et prennent forme dans une grande chaleur humaine.


La force du nombre

Le fait d’appartenir à un groupe, à un clan donné, apporte aux individus qui en font partie divers bienfaits aux plans social et interpersonnel. D’abord, les liens intergénérationnels sont favorisés. Lors d’activités telles que les soupers communautaires, les ateliers ou les présentations de toutes sortes, les gens sont amenés à se côtoyer et se connaître, peu importe leur âge. Une ouverture sur une réalité différente est alors créée chez l’individu. De plus, Ganas démontre que choisir la communauté en ville, c’est aussi choisir un milieu plus sécuritaire pour les familles avec de jeunes enfants et pour les personnes âgées. Les enfants sont connus de tous et il y a toujours quelqu’un non loin pour veiller sur eux. Les personnes âgées ne sont jamais isolées et peuvent compter sur un coup de pouce au besoin.

La création partagée d’un milieu de vie permet aux résidants de développer un sentiment de responsabilité et la capacité de prise de pouvoir sur l’ensemble de leur vie. Finalement, la gestion de quatre entreprises par la fondation représente une assurance face à l’emploi pour les nouveaux arrivants en situation de précarité. Les initiatives entrepreneuriales des membres sont soutenues et encouragées par la communauté; c’est d’ailleurs ainsi que le café-boutique de livres usagés (Bookstore Café) a récemment vu le jour.

Par ailleurs, je ne voudrais pas manquer de souligner l’ouverture sur l’extérieur dont cette communauté fait preuve. La location de chambres à des étudiants et des voyageurs provoque des rencontres intéressantes, qui peuvent se révéler très agréables pour les habitants; on ne tombe pas dans la routine lorsque le paysage change autour de nous! Chaque souper communautaire du vendredi est d’ailleurs une soirée « portes ouvertes », durant laquelle les visiteurs et les curieux peuvent accéder aux lieux. On leur demande de raconter ce qui les amène. Ganas a beaucoup à gagner en maintenant un lien avec l’extérieur : des gens de tous azimuts y apportent leurs talents, leurs histoires, leurs anecdotes… et ils sont à même de propager, du moins en partie, la bonne nouvelle de ce succès.


Le petit je-ne-sais-quoi de plus…

Le scénario décrit ci-dessus semble remarquable, voire idéal. Il faut toutefois mentionner que, dans un mode de vie communautaire, il se déroule en coulisse un incontournable et laborieux travail technique. Sans celui-ci, le jeu des acteurs risquerait d’être fort chaotique. La difficile combinaison entre les émotions et la rationalité, les malentendus, les non-dits, la médisance et les accusations sont autant de pièges dans lesquels une communauté peut facilement tomber.

Les techniques de communication interpersonnelle constituent la pierre angulaire de cette fondation, qui est d’ailleurs également connue sous le nom de Foundation for feedback learning. Cette merveilleuse galère a effectivement débuté par le désir d’habiter un espace dans lequel les gens apprendront à vivre harmonieusement, en se dotant des outils relationnels et communicationnels adéquats. L’éducation au dialogue s’offre aux résidants de Ganas par l’entremise des ateliers sur la communication non violente et les rencontres de rétroaction des apprentissages (feedback learning group). Ces dernières ont lieu chaque semaine, durant lesquelles l’un des fondateurs de Ganas, une femme aujourd’hui dans la soixantaine, prodigue de sages conseils aux personnes de la communauté aux prises avec des difficultés dans leur relation à autrui. De plus, la réunion de planification (planning session) qui se déroule chaque matin, du mardi au samedi, est le moment d’échanger ensemble sur tous les points touchant la vie en communauté et la gestion des entreprises. Ce forum permet de débattre, de se mettre en accord sur divers points, de revoir ses positions; autant d’occasions de régler des différends et de créer des liens.


Un modèle à retenir

Je me souviendrai de Ganas comme d’un lieu où il fait bon vivre, où on rencontre des gens sincères, chaleureux, vrais. On y mange bien, les maisons sont douillettes et on s’y sent vite chez soi et en sécurité. Le dynamisme de la vie urbaine y est palpable, on est près de l’action et les affaires vont bien! Rien de tout cela ne serait pourtant possible sans cette volonté collective sans cesse renouvelée de garder le cap sur l’importance de tout mettre en œuvre pour construire et reconstruire des relations humaines viables. Une rare et simple forme d’humanisme!

Merci à Claire Binet et Céline Lapointe pour les corrections et suggestions apportées au texte.