La Plume de Feu


 

Une vision pour Le Radar
par Simon Pelletier Boucher

Présentation

À l’hiver 2005, dans le but d’obtenir mon diplôme en architecture, j’ai réalisé un essai intitulé « L’architecture poubelle! Quand les rebuts deviennent exemplaires… / Réhabilitation du centre de villégiature Le Radar et transition lente vers un écovillage à vocation publique ». C’est à partir d'une vision apocalyptique de la société de consommation actuelle que j’ai proposé un projet de recherche et de création mettant de l’avant une méthode analytique qualitative, quantitative, puis expérimentale, basée sur les attributs de la matière – des rebuts, dans le cas présent –, pour en démontrer le potentiel constructif et esthétique. Le projet de l’écovillage du mont Ste-Marguerite se prêtait extrêmement bien au cadre de l’expérience et j’ai donc, dans une vision généraliste, fait plusieurs analyses sur le potentiel de réhabilitation et la revalorisation des installations actuelles du centre Le Radar, dans une perspective écologique. Dans les lignes qui suivent, je vous ferai principalement part d’une vision de développement, basée sur l’entraide et la valorisation de la matière, laquelle figurait aux chap. 4 et 5 de mon travail.

 

À contre-courant

L’habitation répond à un besoin primaire. L’obsession grandissante de la valorisation de l’énergie intrinsèque chez les architectes environnementalistes découle du fait que, à l’échelle mondiale, 40 % des matériaux et de l’énergie sont utilisés pour les bâtiments (Roodman & Lenssen)1. Toutefois, le design écologique semble s’être disséminé à travers des approches technicistes, sinon prônant un retour en arrière, ou bien simplement se rattachant à l’imagerie de la nature, alors que l’architecture « verte » devrait plutôt définir une approche conceptuelle « qui découle de réflexions sur les choses » (James Wines)2. Encore plus récemment, depuis que l’on constate le réchauffement climatique et l’urgence d’agir, l’écologie devient une mode. Avec ce phénomène, il est encore plus dangereux de faire dévier la crise écologique dans « un débat cosmétique de bonne conscience » (Michel Jurdant)3.

« La majorité des écovillages que je connais tentent de vivre plus en harmonie avec la nature en proposant et expérimentant un mode de vie alternatif qui garantit l’épanouissement et la souveraineté à la fois de tous les écosystèmes et de tous les êtres humains de la Terre. » (Michel Jurdant)³ Le développement de ces communautés marginales s’effectue sur la base de l’autorégulation et, plus souvent qu’autrement, par l’exploitation de ressources renouvelables. En comparaison avec cette dernière alternative, « l’architecture moderne écologique », celle qui utilise les rebuts, semble une solution contemporaine qui n’exclut pas la société industrielle et la technologie, mais qui, bien au contraire, tire profit de ses failles.

Ce qui fait que l’écovillage du Mont Radar n’est pas comme les autres réside en partie en ce qu’il s’est implanté sur les vestiges de la guerre, sur un site « poubelle », aux rebuts, ordures et vestiges abondants, après plusieurs années de pillage et de vandalisme. Ce qui fut jadis un symbole de pérennité pour les communautés avoisinantes, des points de vue récréatif, économique et culturel, n’est plus que ruines passant entre les mains d’actionnaires toujours plus capitalistes… jusqu’à aujourd’hui! Amener les rebuts dans la nature pour y construire aurait pu soulever une polémique d’ordre éthique, mais ici, c’est l’architecture qui contribuera à la dépollution par la réhabilitation d’un site devenu « poubelle » à cause de la guerre froide, mais encore potentiellement riche. Il est tout de même intéressant de tenter de répondre aux conséquences néfastes de la guerre par l’entraide et la solidarité vers une construction à partir de rebuts.

Par ailleurs, actuellement, les actionnaires ne disposent pas du financement nécessaire pour investir dans la construction d’un village en entier. Par contre, ils sont très ouverts à des solutions innovantes, créatives et avant-gardistes, d’autant plus qu’il n’existe aucun règlement d’urbanisme, de zonage ou autre pouvant interdire l’utilisation de matériaux alternatifs et de construction écologique. Puisqu’ils disposent de tout le temps nécessaire, de plusieurs contacts et ressources, qu’ils ont eu recours dans le passé aux corvées collectives et qu’ils sont potentiellement éligibles à des programmes d’aide gouvernementale, il n’est pas illusoire de penser qu’ils sont des candidats idéaux pour expérimenter l’intégration des rebuts et matériaux alternatifs aux constructions prochaines, créant ainsi une architecture manifeste.

De l’ouverture de la base militaire jusqu’à aujourd’hui, ce site a toujours représenté un pôle dédié à la pratique de loisirs récréatifs pour la communauté avoisinante et il doit le rester. Parce qu’il ne serait pas très écologique de détruire les infrastructures publiques déjà mises en place, d’une part, et parce qu’il serait quelque peu égoïste, voire mercantile de la part des actionnaires, de refuser de partager ces multiples ressources naturelles collectives et équipements récréatifs au profit d’une exploitation uniquement économique ou domestique de celles-ci, il faut plutôt travailler à la diffusion et à l’enseignement sur des milieux viables et respectueux de la nature, ce qui n’exclut pas la possibilité de privatiser certains secteurs pour permettre l’habitation…


La vision

Le développement qui semble vouloir convenir au contexte de l’entreprise actuelle (l’OBNL) consiste en une réhabilitation par phases du centre de villégiature dans le but d’effectuer une transition lente vers un écovillage à vocation publique. On répondrait ainsi aux besoins actuels, en plus de proposer de nouvelles possibilités, dans une optique de développement progressif respectant le passé du site, le contexte présent et les enjeux futurs. C'est-à-dire en respectant un plan directeur qui assure la prise en charge du site, la cohérence et l’unité de l’ensemble, tout en permettant à chacune des phases de construction futures de profiter de la rentabilisation ainsi que des services et des équipements mis en place dans la phase précédente.

Ce principe de plan directeur a aussi l’avantage de laisser aux écovillageois le choix d’évaluer leurs besoins réels et leurs intérêts pour chaque intervention, et même de permettre un réajustement du plan d’ensemble si la vision proposée venait à ne plus correspondre à celle des éco-habitants.Dans un premier temps, il s’agit de recycler, de rénover et d’améliorer les installations du centre de villégiature du Mont Radar. Il est important de proposer des interventions répondant aux besoins immédiats (par exemple: réparation du centre sportif et du bunker, recyclage de l’usine d’épuration des eaux, mise en place d’une structure d’accueil à l’entrée du site, etc.), pour ensuite proposer de nouvelles installations susceptibles d’améliorer les activités et les services actuels (par exemple, définition des aires de camping, ajout de douches, vestiaires, buanderies, construction d’un quai, complétion et restructuration des aires de jeux, etc.) et enfin, suggérer l’ajout d’équipements (par exemple, agora extérieur communautaire, aires de pique-nique, jardins communautaires et permaculture, etc.). La réutilisation des vestiges existants, des matériaux récupérés et l’intégration de systèmes constructifs utilisant les rebuts sont à privilégier à cette étape afin de réduire les coûts relatifs aux besoins matériels et de diminuer l’ampleur du travail de construction.

En deuxième lieu, il faut voir à l’émergence d’un secteur d’activité économique permettant la création d’emploi locale et l’instauration de petites entreprises et de commerces. On pourrait envisager la mise sur pied d’une coopérative de travail basée sur les activités récréotouristiques, artistiques et culturelles, la construction écologique et l’exploitation des ressources du site. Il faut prévoir quelques commerces, des sites de culture et de coupe (par exemple: érablière, agriculture, foresterie, etc.), des lieux d’entreposage et de transformation du bois et des matériaux, des kiosques et ateliers d’artisanat, ainsi que la construction d’unités d’hébergement supplémentaires. À cette étape se précisent aussi les points de service tels que les salles de spectacles et de théâtre, le centre d’interprétation du site, le site de location d’équipement, l’administration, les dortoirs pour groupes, le relais, les chalets et services d’hôtellerie dans des locaux distincts et mieux adaptés.

En dernier lieu, il s’agit de procéder à la conversion partielle du centre en écovillage selon le zonage prédéfini. Alors que le site n’était préalablement habité que par les membres de l’OBSL, leur nombre étant grandissant, on peut anticiper la vente d’unités d’habitation dans le but d’offrir une demeure permanente aux travailleurs d’une part et, d’autre part, de permettre l’arrivée de nouveaux citoyens intéressés par la cause environnementale et qui sont prêts à vivre selon la charte de l’écovillage du mont Sainte-Marguerite. La conversion et la revente de pavillons en unités d’habitation collectives, ou la transformation de chalets saisonniers du centre de villégiature en habitation sur une base annuelle est possible. Cet écovillage est constitué d’un pôle d’attraction à vocation touristique et éventuellement de « hameaux » (petites agglomérations de maisons) plus retirés, mais qui ne sont pas représentés dans l’intervention proposée.

Finalement, l’intervention proposée suggère une nouvelle façon de construire, mais aussi une nouvelle image pour l’entreprise et une nouvelle façon de vivre, tous deux davantage en symbiose avec l’environnement. Dans un monde idéal, la communauté établie au Mont Radar ferait l’acquisition d’un système d’énergie verte (une éolienne au sommet du mont par exemple), et par conséquent deviendrait autonome énergétiquement. On verrait ainsi poindre une sorte d’écovillage à vocation récréative et touristique, un « Mont Tremblant Vert » participant à l’économie locale par la vente de ses productions locales et des produits transformés sur place. Ce site singulier constituerait le premier écovillage québécois possédant un volet public, promouvant et favorisant le développement des projets écologiques au Québec.


Concrètement

Ainsi, pour orienter le projet dans cette voie il est impératif de:

- Faire un ménage complet du site, un tri et un inventaire des rebuts, le démantèlement des bâtiments délabrés, la récupération, la réparation et le recyclage des bâtiments et équipements existants. Élaborer une gestion exemplaire des intrants et extras.

- Déterminer une vision globale commune à tous les membres et participants et un plan directeur (plan de développement et plan d’action écrit).

- Définir et organiser la structure des diverses ressources humaines et de la charte de développement durable appliquée au contexte du Radar. Regrouper des professionnels en conseils qui travaillent à l’élaboration du plan directeur et de la charte avec les sous-groupes d’éco-habitants volontaires et impliqués. Joindre vie communautaire et application de l’écologie dans l’équilibre et la rigueur.

- Réaliser une série d’expertises professionnelles telles que: architecture/ingénierie (évaluation des ressources bâties), voierie (drainage, pavage, eau pluviale, etc.), études de sols et de l’eau, de la diversité biologique, étude détaillée du potentiel touristique et exigences pour satisfaire les normes, étude climatique (soleil, vent, etc.), ainsi de suite. Une connaissance approfondie et consciente du lieu s’impose avant toute intervention majeure.

- Faire une révision/amélioration de la structure d’accueil: entrée, sécurité, signalisation, allure du site dans le paysage, procédure d’accueil, cheminement, confort des visiteurs.


Conclusion

En toute objectivité, il existe probablement mille et une façons différentes d’aborder un projet de cette envergure, et il faudra bien des gens, du cœur et des convictions, de l’énergie et du temps pour le mener à bien. La vision proposée n’est peut-être pas exactement celle qui sera réalisée par les acteurs actuels du projet, et c'est très bien ainsi. Après tout, « c’est la vie qui a raison et l’architecte qui a tort » disait Le Corbusier (vers la fin de sa vie)4. Ce sont les « écovillageois » qui construiront eux-mêmes un projet à leur image et selon leurs besoins et leur style de vie, et la seule sagesse d’avoir recours aux ressources nécessaires, de savoir déléguer et s’organiser, de faire preuve d’une rigueur irréfutable, de prendre le temps et d’adopter l’attitude équilibrée, généraliste et objective, ne pourra que contribuer à bonifier le projet.

Pour ceux qui veulent en savoir plus sur mon essai (projet proposé, expérimentations, réflexions), sur la démarche de récupération de la matière ou sur l’architecture verte, ou même pour de l’aide en conception de bâtiments écologiques ou simplement pour exprimer vos commentaires, n’hésitez pas à communiquer avec moi.


Simon Pelletier Boucher
Stagiaire architecte, M. Arch.
simpb@hotmail.com


1ROODMAN. David Malin & Nicholas Lenssen (1995) A Building Revolution : How Ecology and Health Concerns Are Transforming Construction, dans Worldwatch Paper, mars 1995, p. 124.

2WINES, James (c 2000) L’architecture verte, page couverture.

3JURDANT, Michel (c1988) Le défi écologiste, Boréal, 428 p.

4 WINES, James (c 2000) L’architecture verte, page couverture